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Tensions parents-profs, remarques blessantes... Quand le crop top sème la zizanie à l'école

Deux ans après la polémique qu'il avait suscitée, le tee-shirt court dévoilant le nombril a gagné du terrain dans les cours de récré. Mais les débats subsistent.


Source : L'Express par Amandine Hirou , le 16.09.22,


"Des échanges instructifs... mais houleux !" Voilà comment Myriam Menez, déléguée de parents d'élèves du Val-de-Marne, qualifie les longs débats qui ont eu lieu dans le lycée de son enfant au printemps. Au coeur des discussions : le fameux crop-top. Ce haut "coupé" qui dévoile une partie du ventre des adolescentes avait suscité une vive polémique en septembre 2020. "Chacun peut comprendre qu'on vient habillé à l'école de façon républicaine", avait réagi Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'Education nationale, en réaction à la fronde menée par des collégiens et lycéens à divers endroits du territoire. Deux ans plus tard, une guerre sourde se livre toujours derrière les murs des établissements. "Au printemps, plusieurs élèves sont arrivées avec des mini-brassières qui s'apparentaient presque à des soutiens-gorge. Autant dire que ce n'était pas du tout adapté !" raconte Myriam Menez, adhérente de l'Union nationale des associations autonomes de parents d'élèves. Au mois de juin, ce sujet s'invite alors au conseil d'administration qui réunit équipe pédagogique, parents et élèves. D'un côté, des jeunes filles qui revendiquent le droit de s'habiller comme elles l'entendent et qualifient toute interdiction de "sexiste". De l'autre, des adultes rappelant que le lycée est un lieu d'apprentissage avec des règles à respecter.


A première vue futiles, ces passes d'armes autour de ce fameux tee-shirt court en disent long sur des questions aussi importantes que l'égalité filles-garçons, le rôle de l'école, la prise en compte du point de vue des parents, l'arbitrage entre nos libertés individuelles et collectives... Conscients de son caractère explosif, les chefs d'établissement interrogés sur le sujet avancent à tâtons. "C'est très délicat car ce que je vais vous dire risquerait d'être mal interprété", s'inquiètent-ils. Beaucoup misaient sur l'épuisement de cette mode et sur une ringardisation du crop top (que les Québécois traduisent par "chandail bedaine"). Raté ! Les vagues de canicule successives de ces derniers mois ont amplifié le phénomène. Dans les rayons ados des magasins de prêt-à-porter, les portants croulent sous les crop tops. Et fin août, sur Tik Tok, ils remportaient la palme de la meilleure tenue de rentrée à en croire la flopée de photos postées. "J'ai accepté que ma fille, inscrite en 4eme, en porte un dès le premier jour. L'année dernière, je lui aurais opposé un non catégorique. Peut-être que mon regard s'est habitué, ça me choque moins", raconte Sophie. Et cette mère de famille parisienne d'ajouter : "Les arguments avancés par mon ado ont aussi pas mal bousculé mes certitudes, moi qui ai toujours mis en avant mes convictions féministes. Après tout, quel mal y a-t-il à dévoiler un bout de nombril ?"


Comme elle, les parents semblent nombreux à avoir lâché du lest ces deux dernières années. Parfois trop ? "Ce qui me frappe, c'est le nombre de filles plus jeunes qui, dès le CM1 ou le CM2, insistent pour porter un crop top, influencées par les images dont elles sont abreuvées sur les réseaux sociaux, alerte la psychologue Béatrice Copper-Royer*. Or, le fait qu'elles soient dans une imitation des plus grandes leur fait adopter des comportements qui ne correspondent ni à leur âge ni à leur maturité." A partir du collège, une interdiction ferme des parents se justifierait moins, et pourrait même se révéler contre-productive. "Pour une adolescente, adopter les codes vestimentaires du moment contribue à asseoir sa confiance en soi. Quand on est trop décalé, il arrive malheureusement qu'on soit regardé de travers par ses camarades", précise Béatrice Copper-Royer. Feu vert donc pour la spécialiste... à condition que la tenue reste dans les limites de la décence et soit en adéquation avec les règles érigées par l'établissement scolaire. Or, selon les endroits, les crop tops sont acceptés, tolérés ou clairement interdits.


"La réglementation est souvent très floue"

Au grand dam de la Fédération des conseils de parents d'élèves, qui a mené une campagne en sa faveur à l'occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, le 8 mars. Un visuel mettait en scène un groupe de jeunes, dont un garçon en short et, au centre, une fille vêtue d'un haut vert s'arrêtant sous la poitrine et laissant entrevoir des bretelles de soutien-gorge. "En crop top ou en short je réussis à apprendre mes cours de maths, car je réfléchis avec mon cerveau", mentionnait la légende. Pour la coprésidente Carla Dugault, un long travail reste à mener même si l'épisode de 2020 aura, selon elle, permis de libérer la parole. "Enormément de parents nous ont écrit pour nous faire part de divers incidents comme des remarques blessantes proférées par un enseignant en plein cours à leur fille sous prétexte que sa tenue ne convenait pas. Ou encore le refus à l'entrée de l'établissement sans autre forme d'explication", explique-t-elle. Le 12 septembre, Pap Ndiaye, le ministre de l'Education nationale, reconnaissait qu'en matière d'habillement "les pressions portaient beaucoup plus sur les filles que sur les garçons". Et quelques jours plus tôt, une professeure de lettres, mère d'une collégienne, s'interrogeait sur Twitter sur "le temps d'accueil consacré à la condamnation du crop top et jean troué, qui vise les filles, ciblant je cite 'la vulgarité' de ces tenues". Message hautement relayé et commenté.


Certains parents réfléchissent même à entamer des actions sur le terrain. "Il m'arrive en effet d'être saisie par des familles sur ces questions de tenues vestimentaires. Il faut reconnaître que la réglementation est souvent très floue et peut donner lieu à des abus de la part de l'institution", explique Valérie Piau, avocate spécialisée en droit de l'éducation. Justement, que disent les textes ? Celui qui régit le fonctionnement général des établissements scolaires publics n'interdit aucune tenue vestimentaire, exception faite des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Il appartient donc à chaque établissement de définir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas entre ses murs par le biais d'un règlement intérieur voté en conseil d'administration. La plupart du temps, apparaît la simple mention "tenue correcte exigée". "Laisser une certaine liberté au terrain me paraît beaucoup plus productif que d'instaurer la même règle partout. Car la nature de l'établissement, l'histoire, les habitudes sont différentes selon les endroits", explique Florence Delannoy, proviseure et membre du SNPDEN, le syndicat des personnels de direction. Dans son lycée de Lille, le crop top a droit de cité. "Notre règlement est volontairement assez large. Seule condition ? Avoir une tenue 'adaptée'", poursuit Florence Delannoy.


Beaucoup de ses collègues estiment que lister tous les vêtements potentiellement interdits (crop tops, casquettes, claquettes, tongs...) serait une mauvaise idée. "On ne s'en sortirait plus !" s'exclament-ils à l'unisson. Dans un collège de la banlieue de Poitiers, la multiplication de ces brassières très courtes a toutefois incité l'équipe pédagogique à réfléchir, elle aussi, à une modification du règlement intérieur. En ce tout début d'année scolaire, lors de leur réunion de pré-rentrée, tous les personnels sont tombés d'accord pour rajouter la mention "nombril caché obligatoire". "L'idée étant de protéger certains enseignants qui se disent gênés voire choqués par certaines tenues. Pour ma part, je ne m'étais jamais fait la remarque mais j'estime qu'il est important de respecter la pudeur de chacun", explique ce professeur d'histoire-géographie. Le fait de pouvoir se retrancher derrière un texte précis constitue également une protection face à la judiciarisation des relations parents-enseignants. "La situation peut très vite nous échapper", soupire cet autre enseignant installé près de Bordeaux. Avant de lancer : "Pas question pour moi de prendre l'initiative de recadrer une jeune fille qui viendrait en cours dans une tenue trop dénudée. On pourrait m'accuser d'avoir osé regarder son ventre ou d'avoir un comportement sexiste."


Au sein de la cité scolaire Janson-de-Sailly, située dans le très chic XVIe arrondissement de Paris, l'interdiction du crop top n'est pas clairement mentionnée dans les textes. Mais, dans les faits, les collégiennes sont obligées de les laisser au vestiaire, contrairement aux lycéennes qui bénéficient, elles, d'une certaine tolérance. "On ne va pas demander à ces dernières de se changer car l'âge n'est pas le même. Ce qui ne nous empêche pas, parfois, de leur faire passer des messages", explique le proviseur Patrick Fournié. "Lorsqu'il y a une remarque à faire, je demande systématiquement à une femme de s'en charger pour éviter tout problème", précise-t-il. Les personnels de direction marchent sur des oeufs, craignant l'effet boule de neige. "Si vous sanctionnez ou demandez à une lycéenne de revoir sa tenue, vous courez le risque de voir arriver le lendemain une quinzaine de camarades habillées de la même façon, puis le surlendemain une trentaine, et ainsi de suite...", confie l'un d'eux. Symptomatique de la génération Me Too soucieuse de faire entendre sa voix et prompte à dénoncer les inégalités femmes-hommes.


"On ne vient pas au lycée comme on va à la plage"

Or, bon nombre de chefs d'établissement dénoncent un "malentendu" et réfutent l'idée que les interdits vestimentaires ne concerneraient que les filles. Les claquettes, les tongs, les survêtements, également portés par les garçons, ou encore les jeans portés très bas et laissant entrevoir les dessous masculins sont tout autant sujets à discussion au sein des collèges et des lycées. "Il ne faut pas focaliser le débat sur le crop top. La vraie question est : qu'attend-on de la tenue d'un élève ?" insiste Carole Zerbib, proviseure adjointe du lycée Voltaire, dans le XIe arrondissement parisien. Et la jeune femme de rappeler la mission de l'école : inscrire les élèves dans un processus éducatif, et leur donner les codes qui les aideront à s'insérer plus tard dans la vie professionnelle. "Nous devons leur faire comprendre qu'arborer un maquillage outrancier ou un jogging lors d'un entretien d'embauche est rédhibitoire, avance-t-elle. D'autre part, il est évident qu'on ne vient pas au lycée comme on va à la plage. La tenue doit s'adapter au contexte dans lequel on se trouve. Un peu comme le langage, qui sera familier ou plus soutenu selon les situations." Beaucoup évoquent également la nécessité de maintenir une "atmosphère de travail" au sein des établissements.



La clef absolue pour éviter le conflit ? Le dialogue. "Ne pas se contenter d'interdire mais prendre le temps d'expliquer clairement à un élève les raisons pour lesquelles on pourrait trouver sa tenue 'un peu limite' permet de déminer bien des situations", assure Florence Delannoy. Même constat pour Myriam Menez, pour qui les longs débats entre élèves, parents et enseignants auront permis de mettre tous les désaccords sur la table et d'aborder cette rentrée plus sereinement. "Cela nous aura permis de régler la question une fois pour toutes", espère-t-elle. "L'école est un lieu où un effort vestimentaire est attendu de tous, en proscrivant les tenues trop découvertes ou déchirées, pour les filles comme pour les garçons", stipule désormais le règlement intérieur du lycée où elle exerce la mission de parent d'élève. Avec la baisse des températures, le crop top rejoindra bientôt la valise des affaires d'été, tout comme les tongs, les claquettes, les débardeurs échancrés. De quoi faire taire la polémique... jusqu'au printemps prochain ?

*Auteure, avec Marie Guyot, d'"Adolescentes sur le fil", éditions Marabout (2021).


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