COMMENT LUTTER CONTRE
LE HARCÈLEMENT ET LE CYBERHARCÈLEMENT ?
COMMENT DECELER UNE PHOBIE SCOLAIRE?
En tant qu'avocate spécialisée en droit d'éducation depuis 20 ans, j’interviens fréquemment en matière de harcèlement scolaire. Mon cabinet agit en cas de dysfonctionnements du système. En effet, les familles viennent me consulter lorsque qu’après avoir avisé l’établissement scolaire, la situation de harcèlement perdure avec de lourdes conséquences pour leur enfant : phobie ou échec scolaire, états dépressifs, etc …
Pour lutter contre ce fléau qui s'étend désormais sur les réseaux sociaux et toucherait près de 700.000 enfants chaque année, le député Erwan Balanant a proposé 120 mesures dans un rapport intitulé : « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire » et pour lequel j'ai eu l'honneur d'être auditionnée.
Ce rapport a été remis le 13 octobre 2020 aux ministres de l’éducation et de la justice, MM. Blanquer et Dupond-Moretti, et présenté à l’Assemblée nationale .
1. Qu’est-ce que le harcèlement ?
Un élève sur dix est victime de harcèlement à l’école, selon un rapport de l’UNICEF et de l’Observatoire international de la violence à l’école en France. Il ressort de cette enquête que si la grande majorité des enfants aiment l’école et s’y sentent bien, une part minoritaire mais importante (de 10 à 15%) s’y déclare victime de violence récurrente et de harcèlement physique et verbal
Le harcèlement scolaire se définit comme l’usage répété de la violence physique, de moqueries et autres humiliations entre élèves. Les trois conditions suivantes doivent être réunies pour que le harcèlement soit caractérisé :
• Le ou les agresseurs agissent avec une volonté délibérée de nuire,
• Les agressions sont répétées et s’inscrivent dans la durée,
• La relation entre l’agresseur ou les agresseurs et la victime est inséparable d’un rapport de domination.
Des bagarres ou disputes entre élèves ne sont donc pas du harcèlement.
Les violences physiques et psychologiques
Les plus jeunes s’affrontent physiquement du fait d’un usage prioritaire de leur corps pour communiquer, les plus âgés utilisent plutôt le langage qu’ils ont appris à maîtriser. La violence physique peut se traduire par des coups, des dégradations de matériel scolaire ou de vêtements ainsi que certaines catégories de jeux dangereux effectués sous la contrainte.
Les filles font plutôt courir des rumeurs le plus souvent sur l’apparence physique ou le comportement et isolent leur victime par ce biais. Les garçons ont davantage recours à la force physique pour impressionner leur victime. Sur le net, filles et garçons utilisent les mêmes procédés de rumeurs.
Selon les données disponibles, les filles sont un peu plus victimes de harcèlement que les garçons (58 % contre 42 %) et la tranche des 12-14 ans est la plus exposée au risque de harcèlement (45 % contre 25 % des 9-11 ans, et 28 % des 15-17 ans).
Le cyberharcèlement
Le harcèlement via internet (mails, réseaux sociaux...) est appelé cyberharcèlement. Il s'agit d' un délit. Si vous êtes victime de ce type de harcèlement, vous pouvez demander le retrait des publications à leur auteur ou au responsable du support électronique. Vous pouvez aussi faire un signalement en ligne à la police ou à la gendarmerie ou porter plainte. Ce délit est sanctionné par des peines d'amendes et/ou de prison. Les sanctions sont plus graves si la victime a moins de 15 ans.
En cas de cyberharcèlement, la victime se retrouve confrontée sur les réseaux sociaux à ses harceleurs en dehors de l’école et jusqu’à son domicile. Fréquemment, les élèves créent un groupe dédié à leur classe sur des médias tels que WhatsApp, Facebook, Snapchat ou Instagram dans lequel des insultes, fausses rumeurs, messages audio peuvent être en un clic adressés à toute la classe.
Ce phénomène est amplifié du fait que beaucoup d’enfants dès la primaire possèdent des téléphones portables sans formation suffisante du bon usage des réseaux sociaux.
Des conséquences sur la scolarité
Le fait d’être victime ou auteur de harcèlement entre élèves, peut être à l’origine de difficultés scolaires, d’absentéisme, voire de décrochage scolaire, mais aussi engendrer de la violence, ou des troubles de l’équilibre psychologique. Souvent la victime souffre de phobie scolaire. La phobie scolaire peut être un signal d’alerte d’un harcèlement scolaire. Le harcèlement peut conduire à des crises de dépression graves pour celui qui en est victime, qui peut mener, dans certains cas, jusqu’au suicide.
Certains environnements plus propices au harcèlement
Le guide de l’Éducation nationale sur le harcèlement met en évidence qu’il est favorisé par un défaut de vigilance des adultes au sein de l’établissement scolaire : « Il en est ainsi lorsque l’ambiance entre adultes de la communauté éducative est mauvaise : par exemple lorsque les adultes ne communiquent pas entre eux du fait de conflits interpersonnels, ou au contraire lorsque les conflits entre adultes sont manifestes et connus de tous. Ces situations rendent momentanément les adultes indisponibles pour observer et gérer les relations entre élèves, préoccupés qu’ils sont par leurs propres différends. ».
2. Comment agir si votre enfant est victime de harcèlement et/ou de cyberharcélement ? Quelles sanctions le harceleur risque-t-il ?
L’Éducation nationale a défini une politique de lutte contre le harcèlement à l’école qui est une priorité pour chaque établissement scolaire. Il est donc tenu d’y apporter, dans la mesure du possible, une réponse rapide
Agir en urgence auprès de l’école
Si votre enfant est victime de harcèlement, vous devez prendre en urgence rendez-vous avec le chef d’établissement et l’aviser des faits de harcèlement en étant le plus précis possible (faits, nom des harceleurs, etc…). Il est conseillé à l’issue du rendez-vous, de faire un courrier au chef d’établissement récapitulant les faits de harcèlement dénoncés et lui demandant d’agir au plus vite.
Si sous huit jours, votre enfant continue d’être harcelé, il faut relancer le chef d’établissement et alerter par écrit le DASEN. En effet, dans le cas où le chef d’établissement, après avoir été alerté par une famille, ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement, il est primordial d’en aviser son supérieur hiérarchique à savoir le DASEN.
L’établissement peut engager une procédure disciplinaire à l’encontre des harceleurs et convoquer un conseil de discipline qui décidera d’une sanction pouvant aller jusqu’à l’exclusion définitive
En aviser les associations de parents d’élèves
Les parents dont l’enfant est victime de harcèlement peuvent également aviser les associations de parents d’élèves. Les associations de parents d’élèves peuvent demander l’inscription de questions concernant d’une part les mesures mises en place pour prévenir le harcèlement, et d’autre part les réponses apportées pour traiter les cas avérés, à l’ordre du jour du conseil d’école.
Agir au pénal en portant plainte au commissariat
Les parents peuvent porter plainte au commissariat en cas de harcèlement, violences, et menaces. Dans ce cas, sa victime peut se constituer partie civile pour solliciter des dommages et intérêts devant le juge pénal.
Les parents s’ils hésitent à porter plainte, peuvent aussi déposer une main courante pour prendre acte des agissements dont leur enfant est victime.
Agir au civil pour violation de la vie privée et violation du droit à l’image
En cas d’images dégradantes ou de photos privées diffusées sur internet, les victimes de harcèlement peuvent demander la condamnation de leurs harceleurs à des dommages et intérêts pour violation de la vie privée, violation du droit à l’image, qui permet à tout individu de faire retirer des photos le représentant, pour lesquelles il n’aurait pas donné d’autorisation de diffusion, etc.
Les harceleurs commettent également des infractions au droit de la presse s’ils écrivent en ligne ou via un mobile des insultes, ou qu’ils menacent ou diffament leur camarade.
3. La responsabilité de l’État
La jurisprudence a déjà condamné l’État suite au suicide d’un élève, dans un cas où le chef d’établissement n’avait pris aucune mesure pour remédier au harcèlement dont l’élève était victime. Les juges ont considéré qu’il y avait une faute de surveillance (ayant permis le harcèlement) et un défaut d’organisation du service (pas de mesure prise pour faire cesser le harcèlement).
Le juge indique dans sa décision que plusieurs intervenants au sein de l’établissement avaient eu connaissance des faits dont l’élève a été victime, qui présentaient un caractère répété, fréquent, varié, intense et prolongé dans le temps.
Le juge a estimé que l’absence de procédure de concertation au sein de l’établissement scolaire pour prendre en considération la souffrance d’un élève, avec comme corollaire l’absence de mise en œuvre d’une procédure de prise en charge, révèle une défaillance dans l’organisation du service. Une telle carence dans l’appréhension du harcèlement moral au sein d’un établissement scolaire, et en particulier celui dont a été victime l’élève, engage la responsabilité de l’État, tant en raison du préjudice propre des membres de la famille du fait du décès, qu’en raison de celui subi par l’enfant durant sa scolarité.